« Mettez plus de caméras ! »
Pour masquer leur piètre résultat face au narcotrafic qui pourrit nos villes, de nombreux politiques brandissent cet écran de fumée. Un concentré de démagogie, qui vise à duper les Français·es et refuser de s'attaquer au fond du problème !
La vidéoprotection, ou plutôt vidéosurveillance car elle ne protège pas, se déploie à vitesse grand V depuis une vingtaine d'années. Les maires doivent en mettre toujours plus, car ça "rassure les habitants" et ça leur donne surtout quelque chose à dire sur un sujet, la lutte contre le narcotrafic, dont l’État est en charge.
Les Ministres et les chaînes d'info n'ont eux aussi que ce mot à la bouche dès qu'il se passe un drame aux 4 coins de la France. Lorsque j'ai demandé 100 policiers et un plan de lutte inédit contre la récidive à Bruno Retailleau pour sécuriser les Grenoblois, il m'a répondu : mettez d'abord plus de caméras !
Incroyable mais vrai. Les caméras seraient donc plus efficaces que les enquêteurs et policiers pour lutter contre les trafiquants, pour les empêcher de dealer et de s'entretuer. Elles éloigneraient la criminalité comme des répulsifs efficaces. Qui croit sérieusement que les gros bonnets du grand banditisme comparent le nombre de caméras par ville avant d'implanter leurs juteux business?
On assiste aussi à un manque abyssal de réflexion sur ces demandes de déploiement. Combien de caméras? Où ? Pourquoi faire exactement ? Tout ceci n'a aucune importance, il en faut juste plus, toujours plus. Sinon on est laxiste et anti-sécuritaire. Simple, basique. Surtout démagogique.
À Grenoble, nous en avions entre 70 et 80 en 2014 sur l'espace public. Nous sommes aujourd'hui autour de 120, 6 par Km², soit une augmentation assez conséquente. Mais il en faut plus, toujours plus. Combien ? 200 ? 500 ? 2 000 ? 10 000 ?
Ici nous gardons la tête froide, et essayons de continuer à faire fonctionner nos neurones. Nous avons décidé d'en implanter dans certains espaces clés, très fréquentés. Nous en avons aussi implanté beaucoup sur les grands axes routiers, les carrefours. Cela sert à surveiller ces grands axes, à fluidifier la circulation, à verbaliser à distance aussi les chauffards et goujats de la route.
Les caméras aident aussi à calibrer les interventions des policiers municipaux ou nationaux, ce qui peut être utile pour leur sécurité. Sur l'espace public ces outils peuvent aussi servir, parfois, à élucider ou faciliter l'élucidation des crimes a posteriori. 1% des crimes commis en Isère selon cette étude de la gendarmerie.
Même si le taux d'élucidation grâce aux caméras est faible, cela reste précieux pour la Justice et la Police dans certaines affaires. Les enquêteurs et la justice utilisent donc nos outils municipaux, qu'ils n'installent ni ne financent pas, ce qui ne questionne d'ailleurs personne.
Nous pensons aussi que les caméras sont utiles dans les espaces fermés comme les bus, trams ou les équipements publics. Nous en avons plus de 1500 dans ces espaces à Grenoble.
En revanche elles sont in-implantables au-dessus des points de deal, lieux où se déroulent la majorité des fusillades. Exemple : quartier Hoche à Grenoble, lieu où un adolescent de 15 ans a été tué récemment. Après 6 mois de discussion avec l'Etat local nous avons fini par accepter d'en implanter une en 2023. Nous avions prévenu l'Etat qu'elle aurait une durée de vie très limitée...
Celle-ci a été immédiatement détruite par les dealers. Durée de vie : moins d'une heure. Des milliers d’euros foutus en l'air. Devrait-on donc mettre des policiers pour gardienner des caméras ? Au-delà de l'ubuesque de la situation, souvenez-vous du drame de Viry-Chatillon.
Dans de nombreuses rues calmes, implanter des caméras ne servirait probablement à rien. À 20 000 euros par dispositif, et des policiers payés à surveiller les images, il faut quand même réfléchir un minimum à la bonne gestion de l'argent public !
Surtout, les caméras ne protègent pas. Notre agent municipal tué le 8 septembre l'a été sous l'une de nos caméras. Tout comme le dernier braquage du fourgon des convoyeurs de fonds le 10 octobre.
Mettre des caméras là où cela semble utile ? Oui, pourquoi pas. Mais le dogme du tout caméras est uniquement un écran de fumée pour cacher les vraies lacunes : le manque criant de policiers, leurs conditions de travail et de formation dégradées, la pénurie d'enquêteurs, l'embouteillage dans nos tribunaux, nos prisons surchargées qui ne solutionnent pas mais aggravent le problème de la récidive, véritable fléau dans notre pays.
Face au crime organisé qui gangrène nos villes, souvent orchestré depuis l'étranger, nous avons besoins de plus de douaniers, d'enquêteurs pour remonter et démanteler les filières, d'un retour de la police de proximité pour empêcher les points de deal de pourrir la vie, de greffiers et de magistrats pour juger vite et bien.
Selon le rapport sénatorial sur la question, la France est en train d'être submergée. Les sénateurs appellent à un sursaut et proposent un panel de mesure pour s'attaquer à ces réseaux mafieux et dangereux pour nos démocraties. Nous avons aussi besoin de moyens de prévention pour éviter ces gamins de basculer dans le trafic - quel drame incommensurable de mourir à 15 ans - nous avons besoin d'une grande campagne de santé publique pour sensibiliser et accompagner les consommateurs, parfois addicts.
Nous avons enfin besoin d'un vrai débat sur la légalisation et la régulation publique de la vente de cannabis, comme c'est le cas pour l'alcool. Le processus est enclenché en Allemagne, à notre frontière. Regardons attentivement ce qu’il s’y passe. Cela sera sans doute le coup le plus dur qu'on portera au narcotrafic, et le coup le plus intéressant qu'on pourra jouer en termes de santé publique pour les consommateurs. Sans oublier que cela apportera un vrai bol d'air pour nos policiers et notre justice.
Pour conclure, nous ne sommes pas contre la vidéosurveillance après des études d'impact et de pertinence d'implantation, mais contre sa systématisation et les possibles fuites en avant vers la reconnaissance faciale. Nous ne ferons pas croire que c'est un outil efficace pour lutter contre le narcotrafic. Nous continuerons de l'utiliser de manière raisonnée, de la déployer là où c'est utile en nous basant sur les études et la recherche. Pourquoi mettre de côté la science quand on parle de sécurité ?
J'invite les politiques démagogues et certains médias qui servent de porte-voix à venir voir sur le terrain les besoins et les enjeux de chacun, à sortir de la polémique et à travailler sur ce qui nous met toutes et tous en mouvement : améliorer la vie et la sécurité de nos concitoyens et réduire VRAIMENT l'emprise et la violence du narcotrafic dans nos villes.