La situation au proche Orient a des répercussions directes en France et dans nos villes. Les tensions sont exacerbées, l'antisémitisme et le racisme antimusulman s'expriment de manière décomplexée.
À Grenoble, nous prônons la paix, le dialogue et le respect du droit international. Nous cultivons le vivre ensemble sur un chemin de crête étroit.
Mais nous avons aussi été l'objet de critiques, politisées, partiales et irraisonnables au regard de la situation de la part du Président du CRIF local. Celui-ci a souhaité mettre fin aux relations historiques entre la ville de Grenoble et le CRIF.
Vous trouverez ci-dessous la lettre ouverte que je lui ai adressé. Il m'a semblé intéressant de vous la partager car, au delà des réponses apportées, elle contient ma vision du positionnement qui devrait être le nôtre, ici en France, face à cette situation effroyable.
Voici plusieurs extraits de cette lettre :
« La vocation du CRIF est de défendre l'existence d'Israël et de lutter contre l'antisémitisme». Je me permets d'y ajouter la troisième mission principale du CRIF, telle qu'exposée sur son site internet national : faire vivre la Mémoire de la Shoah.
La ville de Grenoble était déjà très présente pour faire vivre la Mémoire de la Shoah du temps de mon prédécesseur direct Michel Destot.
Nous avons continué et amplifié cette implication toujours plus nécessaire dans la transmission de la Mémoire dans toutes ses dimensions avec la disparition progressive des derniers témoins vivants. Nous avons soutenu l'implication de notre intercommunalité Grenoble Alpes Métropole dans ce processus, lorsqu'elle a initié son soutien à l'organisation de voyages à Auschwitz.
Côté ville, nous avons choisi d'augmenter de façon majeure le nombre de jeunes et de professionnels sensibilisés à une mémoire concrète de la Shoah, de l'environnement concentrationnaire et des phénomènes encore actifs qui les sous-tendent, par un partenariat avec le Camp des Milles et sa fondation. Nous choisissons de marquer l'espace public de la mémoire de la Shoah également : école Marianne Cohn, école Simone Lagrange... Cet engagement passe aussi par des expositions et conférences nombreuses sur la Shoah.
À titre individuel, il m'est également important de ne jamais lâcher cette implication dans la Mémoire et al transmission : citons pour quelques points saillants la visite de Yad Vashem à Jérusalem en 2017, la nouvelle visite d'Auschwitz avec le CRIF national et Ginette Kolinka en 2018, Mémorial de la Shoah à Paris, Neuvième Fort à Kaunas et Mauthausen en 2022, participations régulières à des conférences, expositions et commémorations. C'est aussi un engagement collectif qui passe par l'implication de l'ensemble de l'exécutif, que cela soit aux côtés de la Fondation du Camp des Milles ou lors par exemple de nos séminaires à Vassieux-en-Vercors en 2023 ou avec l'historien spécialiste des nazis Johann Chapoutot lors de celui de 2024.
Venons-en à un sujet crucial pour mon équipe et moi, la lutte contre l'antisémitisme. Toutes les Juives et tous les Juifs de Grenoble, de France et du monde me trouveront à leurs côtés dans la lutte contre l'antisémitisme. Ce ne sont pas que des mots dans des discours publics, même si les mots dans les discours publics sont importants.
C'est un canal spécial d'effacement des tags antisémites. C'est de la formation dans le périscolaire, avec l'accompagnement contre les préjugés liés aux religions, notamment en faisant intervenir l'association ARCHIPEL avec les ateliers "les petits enquêteurs de la laïcité et des religions". C'est la participation aux ateliers de lutte contre l'antisémitisme dans la sphère partisane. C'est continuer de se nourrir de la réflexion d'intellectuel-les, d'artistes, d'historien-nes. C'est marquer par ma présence l'existence de la présence juive à Grenoble, comme chaque année depuis 10 ans lors de Hanoucca, dont les organisateurs m'invitent avec constance chaque mois de décembre. C'est d'ailleurs chaque année l'occasion de rappeler par écrit, aux interpellations qui manifestent la surprise de voir un temps cultuel dans l'espace public, que la loi de 1905 édicte que la République assure la liberté de conscience et qu'elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans la loi dans l'intérêt de l'ordre public, et que cela vaut également dans l'espace public, de la rue à la piscine, en passant par les usagers du service public. La République ne reconnaît aucun culte, mais n'en nie aucun.
C'est la participation de la ville de Grenoble à un investissement mémoriel au sein de l'Espace des Cultures Juives. C'est ma présence à l'Espace des Cultures Juives et à la synagogue, depuis que je suis devenu élu de la république en 2010, lors de temps culturels et cultuels. J'y ai été accueilli dès le début en ami, et j'y ai participé à de nombreuses fêtes religieuses, Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot, et à de nombreux temps culturels, cérémonies, conférences.
Je suis bien sûr présent aux côtés des autres spiritualités à Grenoble, comme auprès de toutes les Grenobloises et tous les Grenoblois dans leurs engagements collectifs.
La considération que l'institution apporte à chacun-e est essentielle. Notons simplement que la lutte contre l'antisémitisme donne une importance singulière à cette présence auprès d'une minorité dont le poids historique et symbolique dans la cité pèse plus que le nombre.
La lutte contre l'antisémitisme, c'est aussi rappeler partout que le judaïsme et la judaïté débordent largement la dimension religieuse. Un an après l'ouverture par les attentats du Hamas le 7 octobre 2023 d'une phase de guerre à l'intensité sans égale depuis 1948, je réitère partout l'absurdité et le poison d'assimiler juif à croyant, juif à israélien, et israélien à soutien de la politique catastrophique conduite par Benyamin Netanyahou.
C'est rappeler l'histoire de l'antisémitisme, ses différents moteurs dont se nourrit la désignation du bouc émissaire, depuis celui du peuple déicide des chrétiens du 2eme millénaire au complot de la minorité dirigeant dans l'ombre, de celui du complot des puissances médiatiques ou financières à celui qui a émergé par travestissement du conflit territorial en Israël et Palestine en conflit religieux.
C'est rappeler que l'antisémitisme a toujours été le signe avant-coureur d'une fragilisation de la république, mais que c'est aujourd'hui en plus parce que la république est fragilisée que les juifs sont en danger en France.
C'est rappeler que les germes de l'antisémitisme sont toujours puissants, mêlant à la fois la recherche de bouc émissaire minoritaire, mais aussi, en parallèle du racisme classique surplombant qui vise « ceux d'en dessous » un racisme vers les supposés «ceux du dessus ». C'est rappeler que dans l'antisémitisme il y a aussi une volonté d'une forme d'éradication du commencement et des origines, de la transmission: une maladie des mouvements totalitaires.
Toujours, vous me trouvez et vous me trouverez dans la lutte contre l'antisémitisme. Dans les temps collectifs comme la manifestation 12 novembre 2023 à Grenoble et dans le travail du quotidien.
Si personne, je crois, n'a remis en cause mon engagement dans ce combat viscéral, intime et politique, j'ai souvent des désaccords avec des représentants nationaux et locaux des institutions juives sur la meilleure stratégie de lutte contre l'antisémitisme. J'échange souvent avec eux à ce sujet.
Je pense en effet contre-productif de qualifier à tour de bras des personnalités d'antisémites. Il est préférable à mon sens de pointer spécifiquement les expressions problématiques. Car si l'antisémitisme est consubstantiel à l'extrême-droite, et je ne l'oublierai jamais malgré tous les cache-nez dont elle pourra s'affubler, c'est la société dans son ensemble qui doit se nettoyer en permanence des codes antisémites qu'elle véhicule par ignorance sincère ou paresseuse, par conformisme culturel ou par ambiguïté linguistique nourrissant le confusionnisme antisémite. Jeter l'anathème nourrit le problème plus qu'il ne le réduit.
Je pense également contre-productif d'utiliser sans les définir les termes sionistes et antisionistes, généralement en assimilant ensuite antisionisme et antisémitisme. Ces termes nécessitent d'exposer leur acception quand ils sont utilisés. Le sionisme peut être défini par le mouvement historique qui a émergé au XIXe siècle et a conduit à la création de l'État d'Israël. Il appartient alors à l'histoire, Israël est là, reconnu, c'est un fait historique.
Le sionisme peut être la défense du droit à l'existence de l'État d'Israël, à laquelle je m'associe toujours. Cela peut être un mouvement de solidarité entre juifs, de solidarité économique ou de protection.
Mais cela peut être le mouvement extrémiste qui promeut et soutient la création de colonies au-delà des frontières reconnues par l'ONU, c'est-à-dire celles de 1967. Cela peut être le mouvement extrémiste qui promeut un grand Israël de la mer au Jourdain.
Dans ces deux derniers cas, je suis évidemment antisioniste, et cela n'est en rien un antisémitisme.
Vous l'avez compris, je fais partie de ceux qui veulent aller au bout des choses sur ces sujets, car la confusion règne, les préjugés, les raccourcis et les anathèmes volent. Or, il est de notre responsabilité de ne pas alimenter les tensions et au contraire d'en démanteler les ressorts avec détermination et précision.
À Grenoble, nous partageons la défense du droit à l'existence d'Israël, dans ses frontières de 1967. Et nous partageons la fraternité entre les peuples. C'est ce qui nous a conduits à prendre une initiative commune que j'ai annoncé jeudi 12 octobre 2023, invitant l'ancien comité de jumelage Grenoble - Rehovot à se retirer et appelant un nouveau comité à se constituer, qui puisse travailler aux liens entre population civile dans l'esprit de la délibération cadre votée par le conseil municipal en juin 2023 (3 priorités : amplifier les transitions environnementales et sociales, promouvoir les droits humains, défendre et porter l'hospitalité inconditionnelle). Ce nouveau comité ne juge « ni souhaitable ni possible » d'avancer dans sa constitution et de démarrer ses travaux tant qu'un cessez-le-feu et une libération des otages ne sont pas obtenus. Cela me semble sage.
Nous partageons également la position de la France et de l’ONU sur la solution à deux états. Le Conseil municipal a largement voté en 2024 un vœu demandant au gouvernement cette reconnaissance, ainsi que l'avaient fait le Sénat et l'Assemblée nationale en 2014 via une résolution. 147 pays reconnaissent à ce jour l'État de Palestine, dont 11 membres de l'Union européenne. La France a voté en mai 2024 pour l'admission de la Palestine comme membre de plein droit à l'ONU, comme 143 pays. Seuls 9 s'y sont opposés.
Que faire de tout cela à l'échelle locale ?
Rappeler l'aspiration à la paix et au droit à la vie.
Depuis l'horreur du 7 octobre dernier, la ville de Grenoble a répondu immédiatement présente pour soutenir les associations et collectifs.
Ainsi, nous avons accueilli dans le salon d'honneur les moissonneurs des Lilas pour la lecture d’Apeirogon, où 2 pères, l'un Israélien et l'un Palestinien racontent leur douleur d'avoir vu une de leur fille tuée par l'autre partie, et la nécessité qu'ils trouvent à militer ensemble pour la paix.
Nous avons également accompagné à plusieurs reprises le Cercle Bernard Lazare, notamment en accueillant le représentant de « La Paix Maintenant » et des membres des Guerrières de.la Paix.
Nous avons accueilli Denis Charbit, le 30 mai dernier à la Maison de l'international de Grenoble, pour une conférence « Penser l'existence nationale et politique de l'autre». Citons également la venue de Brigitte Stora, toujours à la maison de l'international, en juin, pour son ouvrage :l'antisémitisme, un meurtre intime. Et bien sûr l'hommage à Yitzhak Rabin en novembre 2023, puissant acteur de la Paix, assassiné par un ultranationaliste juif israélien.
Notre position a toujours été de dénoncer les massacres, les victimes civiles, et de chercher, même si cela peut paraître illusoire, à accompagner la voix de la paix. La paix, c'est notre fil conducteur, quitte parfois à froisser ceux qui défendent l'indéfendable, qui masquent une véritable volonté, celle de l'éradication de l'autre.
Ainsi, nos liens avec les Grenoblois et Grenobloises issu-es de la communauté juive sont bien existants, et ne débutent pas non plus au 7 octobre. Ils s'inscrivent dans la durée. Nous avons à l'occasion des 80 ans de la Libération travaillé sur le CDJC, le Centre de Documentation Juive Contemporaine créé en 1943 par Isaac Schneersohn, accueilli plusieurs soirées et conférences comme «Le Cri du Peuple Juif Assassiné », les «Chroniques du Ghetto de Varsovie .»
Je cite enfin, et je suis loin d'être exhaustif, toujours à la Maison de l'International en 2023 la conférence « Montée en puissance de l'extrême-droite : quelle paix pour les Israéliens et Palestiniens ? », par Thomas Vescovi, historien spécialiste des sociétés israéliennes et palestiniennes, et la conférence « Pourquoi de milliers d'Israéliens manifestent régulièrement depuis maintenant 27 semaines », animée par Paul Ouzi Meyerson, journaliste à Radio J de Paris et organisée avec Guy Poran, ancien pilote de l'armée qui venait témoigner de son engagement contre la réforme de la justice de Netanyahou, voulant mettre au pas les citoyens et citoyennes de son propre pays.
Quant à la protection des grenobloises et grenoblois juifs, je suis le maire de toutes les grenobloises et de tous les grenoblois, et elle est à ce titre un sujet d'attention permanent pour moi, mon équipe et l'institution municipale. Je sais cette communauté fragile, la démographie n'y est pas pour rien, l'absence de rabbin à la synagogue Bar Yohaï non plus, le choc du 7octobre 2023 a produit un traumatisme qui dure, une inquiétude pour les proches là-bas mais aussi la perception bien tangible de la montée de l'antisémitisme ici. Mais cette communauté a toute sa place dans la cité, à Grenoble, elle est considérée, et chacun de ses membres a également toute sa place ici.
Les temps sont douloureux et dramatiques.
Les attentats terroristes du 7 octobre ont ouvert un nouvel abîme. J'ai ressenti très fortement dès les premières minutes de ce 7 octobre que dans cet événement était contenu à la fois l'horreur des crimes atroces, mais aussi le poison lent de la captivité des otages, et la réaction en chaîne au profit des porteurs de malheurs des deux camps qui visent à ce que toute réconciliation soit impossible. Pourtant j'étais encore tellement loin de la réalité. Une large partie des juifs de France a vu raviver le souvenir palpable de la Shoah. Partout un nouveau calendrier démarre au 7 octobre et compte les jours de détention des 101 otages encore retenus. Le souvenir de la Nakba hante aussi les esprits.
À Gaza, la grande majorité des organisations considère qu'il y a un génocide en cours, d'autres que cela doit être tranché par la CPI, mais toutes demandent l'arrêt des massacres et un cessez le feu ainsi que la libération des otages, pour que l'aide humanitaire puisse sauver les vies encore sauvables.
La Cisjordanie est exsangue et les colons avancent partout avec violence.
Le Liban est embrasé, sa capacité à assurer l'existence commune de tant de diversités survivra-t-elle à ce drame de plus ?
Les dirigeants d'Israël semblent chercher la sécurité, par la destruction des adversaires d'Israël à n'importe quel prix, plutôt que par la paix. Le coût pour les populations civiles est inouï et je suis convaincu que cela ne sera pas une sécurité durable. Le danger se propage. L'humiliation et l'injustice peuvent nourrir la violence aveugle partout sur la planète.
Certains veulent une guerre de religion ou de civilisation. Mais les meurtriers et les morts sont du même sang, partout sur la terre.
Pourtant nous grandissons ensemble quand nous faisons preuve d’empathie. Nous pourrions nous inquiéter ensemble de la situation des otages, penser aux familles impliquées et à celles déplacées, nous pourrions pleurer ensemble les victimes civiles, nous pourrions nous enquérir de la situation des amis de Grenoble, comme lorsqu’Anas et Munther, du camp d'Aïda à Bethléem, ont été en détention administrative pendant des mois, nous pourrions nous réunir autour des libanais de Grenoble, qui ont perdu des membres de leur famille et vu frappé leurs villages natals.
Bref, nous pourrions entretenir notre humanité commune, nourrir la paix et la concorde, ici au moins, c’est là que nous vivons.
Vous ne pouvez pas exiger de moi le silence face à ce drame, ni que je tienne une comptabilité morbide assurant l’égalité du nombre de mes communications envers les uns et les autres.
De même que la lutte contre l’antisémitisme ne réduit en rien ma détermination à lutter contre le racisme anti-musulmans et assimilés qui connaît une nouvelle montée après celle qui a fait suite aux attentats de 2015.
Israël a le droit d'exister, pas de coloniser. Le peuple palestinien a droit à l'autodétermination, pas celui de détruire Israël.
La réconciliation est toujours possible. Une grande partie des palestinien-nes et des israélien-nes n'est pas mue par la haine mais par la peur, et n'attend que de voir renaître l'espoir. À notre humble place, dans un territoire en paix, nous devrions prendre soin du dialogue.