16 Feb
16Feb

J'assume et je signe : oui, je me fous des polémiques lancées par la droite, la fachosphere et autres charognards sur les faits divers et actes criminels à Grenoble. Ici nous gardons la tête froide. La sécurité est un enjeu de préoccupation majeure de notre équipe municipale.

Comme d'autres journaux avant lui, Libération a préféré isoler et détourner une phrase de notre interview sur ce sujet essentiel. Propos tronqués ensuite déformés et relayés largement par les éditorialistes du dimanche et des journalistes en pré-retraite.

Pour celles et ceux qui veulent continuer à aller au fond d'un sujet aussi essentiel pour notre société, voici la retranscription complète de mon interview avec Libération.


Libération : Au-delà des caricatures qui sont faites par la droite, comment traitiez vous le sujet ? Quel regard portiez-vous sur le sujet de la sécurité en arrivant à la mairie en 2014 ?

Éric Piolle : Un regard qui était à la fois pensé par des écrits et qui n’était pas de l’intérieur de la machine, vu que je n’étais pas dans la vie politique auparavant. Mais c'est un des sujets qu'on aborde quand on se projette pour être maire. On pense qu'on va être chef de la police municipale, qu'on va être en dialogue avec la police nationale, avec la préfecture, avec la justice, etc. Donc on l'aborde et on le pense bien sûr.

Libération : Est-ce que vous saviez que vous alliez être attaqué sur ce sujet ?

Éric Piolle : À vrai dire, je m'en fous un peu. D'abord parce que dans toute ville et tout lieu - j'avais regardé avant de m'engager dans la vie municipale - quand il ne reste plus que des attaques sur la propreté, la sécurité, ça veut dire qu'on a gagné quelques batailles culturelles par ailleurs. Parce que, quelle que soit la couleur politique de l'équipe en place, que ce soit pour les élus en place ou pour les habitants ou le débat public, on peut toujours se dire que la ville n'est pas assez propre et que la ville n'est pas assez sûre. Mon expérience au conseil régional m'a montré que, de toute façon, il ne faut pas donner prise à ces attaques.

J'avais vécu ça avec les socialistes que j'avais trouvés en 2010, comme dans les années 80, encore à dire qu'il faut faire une politique économique de droite, parce que sinon on va être accusés de ne pas être sérieux. Et quelque part, pour la sécurité, on a vu l'évolution de ces dernières décennies où ça a été un petit peu pareil. La gauche a finalement lâché un peu le sujet sur ses fondamentaux, sur la sécurité. Elle a commencé à faire, en fait, comme la droite, à gesticuler pour occuper le terrain sans regarder les résultats, ni les causes de fond, ni les résultats opérationnels. On a vu ça avec l'arrivée de Valls au ministère de l'Intérieur qui a eu exactement la même stratégie que Nicolas Sarkozy. Les coups de menton, maintenant, tolérance zéro, fermeté, et puis voilà, tout continue comme avant.

Donc finalement, il y a un certain laxisme, de mon point de vue. Il y a un laxisme de ces politiques, des ministres de l'Intérieur successifs qui ont fait de la sécurité un fonds de commerce, un tremplin médiatique et politique plus que s'attaquer réellement au sujet. Parce que dire exactement pareil que son prédécesseur en faisant comme s'il n'avait pas existé et en espérant que les résultats changent en employant les mêmes moyens... c'est quand même un vœu pieux.

Et à l'échelle municipale, on a vu, face à une situation qui est tendue, la pénétration de l'augmentation de la consommation de drogue en France ces 30 dernières années. C'est quand même une réalité. Et surtout du caractère ostentatoire du trafic qui veut de plus en plus s'affirmer. On a vu aussi les élus de droite, et de gauche après, lâcher en disant "Bon bah, au moins la vidéosurveillance", même si en fait, on ne regarde pas les études scientifiques qui évaluent son efficacité. Mais au moins ça donne l'impression de faire quelque chose. “L'armement de la police municipale, au moins ça donne l'impression qu'on fait quelque chose”. Donc ce truc de "Bon, on ne regarde plus les résultats, on regarde comment on gigote pour donner l'impression qu'on lâche pas l'affaire."

Donc nous, nous sommes au rendez-vous. La municipalité, dès le début, c'était ma première adjointe qui était en charge des questions de tranquillité publique et de sécurité dans le premier mandat, qui est aujourd'hui députée, très investie sur le sujet. Nous agissons, nous sommes au rendez-vous dans le cadre actuel. Et donc nous sommes dans le continuum de continuité avec des lois qui sont actuellement répressives. Et ça ne nous empêche pas de dire par ailleurs que la façon qu'ont les gouvernements successifs de s'attaquer à la question nous semble vaine.

Libération : Mais vous, quelle est votre doctrine ?

Éric Piolle : D'abord, nous, nous sommes en charge de la tranquillité publique. Le maire est là pour prévenir les désordres. Et donc nous avons une police municipale qui est là pour être connue et reconnue des habitants, pour être dans cette articulation qui était un peu celle de Chevènement dans les années 90, d'ailleurs, mais qui est “autant de prévention que possible et de la répression quand c'est nécessaire”.

Sur la police municipale, vous avez vu les effectifs des polices municipales enfler ces dernières décennies partout en France. Il y a une raison à cela, c'est que la police nationale n'assure plus ce rôle de gardien de la paix. Donc ce rôle de gardien de la paix, en fait, il est assuré par les municipalités un peu partout en France, parce que, de fait, notre police nationale est maintenant une police d'intervention. Ce n'est plus une police qui patrouille au milieu des gens. Elle ne fait plus le tour des commerces. Elle n'est plus à patrouiller. Et d'ailleurs, c'est une perte de sens pour eux. Les policiers nous disent que c'est une perte d'efficacité parce que, mine de rien, dans la sécurité, il n'y a rien qui augmente plus la sécurité que de se connaître. Ce qui vous donne l'impression de sécurité quand vous êtes chez vous, c'est que vous connaissez vos voisins.

Donc nous, nous sommes attentifs à travailler avec la police nationale et la justice dans ce continuum de sécurité. Mais nous sommes assez attentifs aussi à ne pas arrêter de faire ce qui est important pour la sécurité du quotidien des gens, pour aller écoper la mer de la lutte contre le narcotrafic, qui en fait ne baisse pas.

La France a un problème d'indicateurs parce que l'indicateur du ministère de l'Intérieur, on a l'impression que c'est le nombre de personnes en prison. C'est un indicateur dont le résultat est bon : il n'y a jamais eu autant de monde en prison ! Et nous, élus locaux, notre indicateur c'est : est-ce que le deal recule dans l'espace public ? Est-ce qu'il nuit moins à la vie quotidienne des habitants qui sont proches des points de deal ? Est-ce qu'il fait moins peur dans l'espace public ? C'est ça nos indicateurs, et c'est sûr que là, nous n’avons pas le même regard. 

Libération : Mais du coup, est-ce que vous ne vous êtes pas posé la question de l'armer, cette police municipale  ?

Éric Piolle : Elle est armée, notre police municipale. Elle est armée de ce qui est nécessaire dans l'exercice de ses missions. Donc elle a des bâtons télescopiques, elle a des bombes lacrymogènes, elle a des pistolets à impulsion électrique pour faire face, notamment aux personnes saoules qu'elle croise à la sortie des bars, puisque c'est une fonction que maintenant une municipalité assure. Ce n'est plus la police nationale qui fait ça. Elle n'a plus les moyens de le faire.

Donc, notre police municipale, elle est armée. Sur la question de l'armement par arme à feu, dans la réalité, ça ne sert pas à courir après les dealers avec le flingue à la main. L'armement ne sert qu'à la légitime défense. Et nous, nous considérons que dans ces missions-là - c'est une décision d'employeur - nos policiers municipaux sont plus en sécurité dans l'exercice de leurs missions en n'ayant pas d'arme à feu, qu’en en ayant. C’est un regard d'employeur. Armement ou pas armement, ça n'a aucun effet dans la lutte contre le narcotrafic, par exemple.

Libération : Et c’est un sujet que vous avez discuté avec d’autres maires comme Pierre Hurmic par exemple ?

Éric Piolle : D'abord, ça regarde chaque employeur. Ce n’est pas un choix de politique publique, sauf si vous dites que la police municipale va arrêter de faire ses missions de police du quotidien, pour aller elle aussi sur la lutte contre le grand banditisme. Mais personne ne dit ça. Même au sein de France Urbaine, les maires des grandes villes, dans notre commission sécurité, nous sommes tous très clairs là-dessus. C’est que de fait, le régalien, la répression du banditisme, ce n’est pas le travail des mairies.

Le reste, c’est juste une question de perception d’employeur sur comment protéger ses agents. On peut comprendre qu’on n’ait pas tous les mêmes acceptions. Moi je pense qu'ils sont mieux protégés en n’étant pas armés d’armes à feu. Mais c’est un dialogue que j’ai avec eux, et je peux comprendre que d’autres aient un autre avis. Collomb, qui était radicalement contre l'armement de la police municipale, avait changé après les attentats de 2015 et après les manifestations de ses policiers. Juppé était très opposé à l’armement de la police municipale aussi. Bayrou était très opposé, donc ce n’était pas une question de gauche ou de droite l’armement de la police municipale, et d’ailleurs, ça ne l’est toujours pas. C’est une question d’employeur.

Quand on se retrouve dans le tourbillon médiatique, ce n’est pas simple. J’ai vécu ça en 2019-2020, avant la campagne municipale, tous les journaux étaient concentrés sur les faits divers à Grenoble. On avait des séries d’articles dans Le Figaro, et les premières pages des journaux locaux sur chaque agression. La montée de la question de la sécurité dans le débat public, nous avons vécu cela lors de la campagne précédente.

Libération : Comment expliquez-vous que les mairies écolos soient en particulier autant ciblées ?

Eric Piolle : Parce qu’avant c’était la gauche et que la gauche a lâché. Là, on se dit “bon, voilà, il y a des gens, les écologistes, qui ont encore des principes”, un regard qui dit ça démarre par la prévention, avec la médiation, la répression, la réinsertion. C’est un sujet dont on parle peu, la réinsertion, mais la France est autour de 50 % de récidive à deux ans, et pas loin de 60 % à cinq ans. Dans les objectifs théoriques de la prison, celui qui est d’envoyer quelqu’un en prison afin de protéger la société dans l’immédiat, ne marche qu’à moitié, puisque les gens vont en prison bien longtemps après leurs actes. Il y a aussi des objectifs punition et réparation pour la victime, et il y a un objectif réinsertion, pour que la personne ressorte en étant plus adaptée à la vie en société et donc moins dangereuse pour la société. Dans ce triptyque, protection, punition-réparation, réinsertion, on voit bien que le côté éloignement temporaire de la société pour protéger la société, ça ne marche pas, parce que les jugements arrivent très, très longtemps après.

C’est le temps de la justice. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut faire une justice expéditive.

Le deuxième volet, la réparation, oui, ça marche un peu - après, on peut avoir des débats sur ce que ça signifie, est-ce que ça marche pour les victimes -.

Et puis le troisième volet, la réinsertion, c’est un échec complet. Il faut rappeler qu’en Allemagne, il y a trois fois plus de magistrats qu’en France par habitant, et que ces magistrats font en fait de la réparation, c’est-à-dire qu’ils viennent connecter victimes et agresseurs pour essayer de résoudre le problème, et non pas juste punir aveuglément.

Je pense que nous écologistes, nous avons une doctrine aujourd’hui qui est une pensée structurée, et il faut pouvoir effectivement résister parfois au tourbillon médiatique. Il y a d’autres exemples. Johanna Rolland a été ciblée à Nantes. Il y a eu des fusillades partout. Donc c’est facile de cibler, et vous pourriez faire le ciblage qui a été fait récemment sur Grenoble sur d’autres villes. Vous pourriez le faire à Nîmes avec un maire LR qui a couvert sa ville de caméras, a des policiers municipaux armés. Vous pourriez le faire à Nice : il y a encore eu un mort le weekend dernier dans une fusillade. En fait, vous pourriez le faire partout, ce focus. Mais évidemment, comme ceux qui saisissent de ces sujets, c'est plutôt comme des médias de droite, ils vont plutôt aller chercher les gens pas de leur camp.

Libération : Et comment vous gérez l'émotion suscitée par le meurtre de l'agent propreté qui a été tué cet automne ?

Eric Piolle : C'est un traumatisme, un traumatisme pour l'ensemble de ces agents, et tous ceux du service public qui sont sur le terrain partout en France. Et nous avons reçu des réactions de partout parce que tout le monde peut se projeter dans cette situation-là. C'est le drame auquel tout le monde pense en permanence. Nous passons tous beaucoup de temps sur ces questions de sécurité et nous avons toujours peur qu'il y ait une victime collatérale, que ce soit un habitant ou un agent. Donc c'est un traumatisme fort. Mais on a eu un dialogue social important et puis des moments aussi d'hommage maintenant. On lui dédie des noms d'établissement ou de lieux publics.

Mais je ne sais pas quel est exactement le sens de votre question. Si vous voulez, nous, par exemple, entre 2016 et 2020, il n'y a pas eu de morts sur la ville de Grenoble. On ne sait pas pourquoi, mais personne ne nous a entendus dire dans les médias "génial, regardez, grâce à notre action, il n'y a pas eu de règlements de comptes mortels à Grenoble pendant quatre ans”. Parce qu’en fait ce n'était pas forcément un bon signe non plus. Cela voulait peut être dire qu'au contraire il y a une glaciation du deal et qu'il est tellement bien tenu qu'il n’y a plus de lutte. On ne sait pas. Les fusillades ont recommencé à Grenoble, parce que là on vit un épisode chaud depuis maintenant neuf mois, même si c'est un peu moins intense ces dernières semaines, ça reste très intense avec des fusillades régulières. C’est une guerre commerciale de terrain qui est très forte. Les premières fois le procureur disait “c'est le fruit de mon travail”. Grosso modo il disait “j'ai bousculé le trafic, donc c'est normal qu’ils se tirent dessus”. Bon, une fois que la machine s'emballe et qu'on se retrouve avec des fusillades…

Ce qui a changé par rapport à il y a dix ans, c'est des gens qui sont plus fracassés à ce niveau du deal de terrain, en plus fracassés par les produits, puis désinsérés socialement, plus jeunes. Et une violence qui s'exprime certaines fois dans des lieux qui ne sont pas des lieux reculés, des interstices de la ville, mais qui sont des lieux fréquentés. Ca, évidemment, c'est choquant. On a vu à Nîmes, la mère de famille qui a eu une balle dans son appui tête à la sortie de l'école à 17 h. C'est le troisième vecteur, c'est la question des horaires. C'est-à-dire que les règlements de compte ne se passent plus à minuit dans un coin sombre. Ça se passe parfois à 17 h devant une école. Et ça, c'est le cas dans les grandes villes, mais la Cour des comptes pointait le fait que maintenant le trafic a gagné les campagnes. Le rapport cet automne montrait qu'il y a eu un accroissement de 70 % des affaires dans les milieux péri-urbains et ruraux. Voilà, je pense que là aussi, la stratégie française du tout répressif est en échec.

Libération : Est ce que vous dites aujourd'hui qu’il y a une hausse de l'insécurité ?

Eric Piolle : Ça dépend. Si on regarde tendanciellement par rapport à il y a 30 ans, non. Les chiffres le montrent. Les chiffres d'homicides ont été divisés par deux. Ça dépend quel indicateur aussi. À Grenoble, typiquement, la police et le procureur le disent : pour le commun des mortels dans la rue, dans le centre-ville, vous n'avez pas plus de risques qu’ailleurs et qu’avant.

Je pense qu'il y a une montée de la structuration de ces réseaux, une montée de la lutte commerciale, une montée du caractère ostentatoire du trafic. Clairement. Donc de mon point de vue, oui, il y a une dégradation de la situation qui va d'abord avec une augmentation de la consommation de drogue qui n'est pas du tout prise en compte.

Quand je dis que la France est en échec, c'est qu'elle est en échec en matière de santé, personne n'en parle. C'est hallucinant. On a quand même les questions de santé publique, même si toutes les drogues ne sont pas forcément addictives, mais il n'empêche que ça peut être problématique. Même le cannabis, avant que le cerveau soit fini, pour les ados, c'est un vrai problème.Donc il y a un un échec général de santé publique, il y a un échec de sécurité sur des points de deal avec des nuisances fortes pour les habitants et une violence qui monte.

Les derniers rapports disent que les règlements de compte représentent à peu près 9 % des homicides en France. Donc on va dire un peu moins entre 80 et 100 personnes par an. Quand ça baisse, ça n'est pas réjouissant. C'est ce que disait le procureur de Marseille, ça a été divisé par deux en 2024 à Marseille. Mais son analyse, c'est juste qu'il y a un clan qui a gagné sur l'autre, donc ils arrêtent de se tirer dessus. C'est pas qu'il y a moins de trafic. Et un échec en matière de justice.

Nous nous sommes au rendez-vous à la fois du travail de prévention, du lien police population qu'on fait beaucoup. Notre police municipale va dans les collèges et les lycées. Elle accueille des jeunes qui sont exclus temporairement de leur collège pour là aussi créer du lien. Elle fait des séjours avec des jeunes de quartiers populaires, notamment à la Fondation du camp des Milles qui est un ancien camp de concentration près d'Aix en Provence, mais qui a une fondation qui réfléchit sur les dynamiques du totalitarisme, les discriminations, etc. Donc nous faisons ce travail là, nous faisons beaucoup de travail avec la jeunesse, mais on peut constater que tout ce travail là - nous agissons aussi à l'autre bout de la chaîne, on accueille beaucoup de travaux d'intérêt généraux dans les services de la mairie - ne suffit pas. Nous faisons des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance dans chaque secteur de la ville. Donc la machine tourne et la coordination opérationnelle, honnêtement, police, justice et municipalité fonctionne au mieux des moyens qui sont donnés d'une part et au mieux de la stratégie qui est choisie, et qui n’est, de mon point de vue, pas la bonne stratégie. Voilà. Mais dans ce cadre là, on bosse correctement, mais on peut juste constater que les résultats ne sont pas là.

Et ça c'est normal du fait d’abord de la complexité de la situation et deuxièmement, de la stratégie qui est choisie du “tout répressif”.

Cette stratégie a plus vocation à faire connaître le nom des ministres de l'Intérieur qu'à avoir des effets sur le terrain.

Libération : Mais est-ce qu’il y a une sorte de tabou chez les écolos sur ce sujet ?

Eric Piolle : Non. Il n'y a pas un tabou mais je pense que, comme sur les questions économiques ou sur les questions migratoires, la gauche classique, on va dire, a lâché l'affaire parce que, cornérisée par le débat public, elle prend acte le fait que la situation n'est pas bonne. Et elle prend acte le fait que les gens attendent plus de répression et que donc elle dit “bon bah ok, allons y dans cette direction, au moins on sera dans le ventre mou, on ne sera plus des cibles isolées”.

Donc je pense qu'effectivement la gauche a un problème, de même qu’elle a un problème avec l'économie, de même qu’elle a un problème avec la migration. Pourquoi est ce qu'une politique de gauche devrait être en fait une politique de droite pour faire sérieux ? Non, je pense qu'elle se plante en faisant cela. Pourquoi une politique migratoire de gauche, ça devrait être une politique façon Valls ? Je pense qu'elle se plante à lâcher, à considérer en fait qu'on est minoritaire, et du coup à faire la politique du camp d'en face. Je pense qu'effectivement ça montre qu'elle a un problème.

Libération : Est ce que vous vous souvenez de la note de blog qu’avait écrite François Ruffin sur la sécurité ? Est ce qu’on peut admettre à gauche que la tranquillité publique est quand même un droit pour tous ?

Eric Piolle : Ben oui, ça c'est une évidence. En tout cas, moi ça a toujours été mon cas. Et notre triptyque à Grenoble, notre action politique, c'est : 1) garantir des sécurités aux habitants du territoire 2) faire société autour des biens communs et du vivant 3) nourrir le désir de sens des habitants.

Donc la garantie des sécurités, ça fait partie de nos objectifs fondamentaux politiques. Et donc évidemment que dans cette sécurité, il y a avoir un toit sur la tête, il y a manger à sa faim des produits qui ne rendent pas malade, il y a pouvoir se déplacer pour faire sa vie, il y a accéder à la santé, accéder à l'éducation, ce sont les sécurités de base.

Mais la sécurité physique aussi bien sûr. Il y a plein de gens qui sont par phase plus ou moins inquiets en fonction du focus médiatique sur la question. Mais il y a plein de gens dont ça pourrit le quotidien. Et effectivement, les rodéos, par exemple. J'ai contribué à faire changer la loi sur les rodéos qui avant était une simple infraction routière. Donc en fait il n'y avait aucune capacité à agir.

Nous avons fait avec quelques maires de grandes villes, changer la loi pour que ce soit un délit spécifique qui permette d'autres formes de contrôle, d'autres formes de répression, des saisies plus faciles de véhicules, etc. Mais ça n'épuise pas le sujet. Les rodéos, c'est vraiment une nouvelle nuisance qui est ce caractère ostentatoire du trafic qui a envie maintenant de s'afficher. Ils louent des bagnoles de luxe qui coûtent une blinde, ils font du bruit pour montrer qu'ils sont chez eux, etc.

Libération : Quand vous dites que la gauche a lâché l'affaire, ça veut dire que pour autant, ça ne vous dérange pas qu'on parle d'insécurité, qu’il y a un sentiment d'insécurité aujourd'hui, qu'il y a un manque de tranquillité publique, ça ne vous choque pas ?

Eric Piolle : Non, pas du tout, du tout. En tant que maire, c'est mon quotidien en tout cas. On baigne là dedans et ça fait partie des sujets qu'on aborde, encore ce matin avec mon directeur général des services. On a un point deux fois par semaine, on a évoqué ça, c'est notre quotidien. Donc il y a aucun problème à parler de ça.

Par contre, la culture des ministres de l'Intérieur successifs, c'est aussi que pour détourner l'inefficacité de leur politique, en fait, ils viennent instaurer des joutes avec les élus locaux comme si c'était la faute des élus locaux. Qui est en charge de la répression et du régalien ? C'est l'État. C'est comme si tout d'un coup, le ministre de la Justice venait et disait : “À Grenoble n'importe quoi, les délais de justice sont trop longs, vos juges aux affaires familiales ils ne traitent pas assez et qu’est ce que vous foutez élus locaux ?”. On déplace le problème, c'est absolument hallucinant, en fait. Ce qui est fait par les ministres, ça montre la vacuité de leur discours. Ils sont en charge d'une politique et grosso modo ils viennent dire aux élus locaux : “Qu'est ce vous foutez dans votre ville ? J'ai pas les résultats que j'y attends”. Mais en fait c'est vous,ministres, qui êtes en charge de ça. Si vous qui vous plantez tous depuis plus de 20 ans sur le sujet, peut être qu'il faut peut être revoir vos stratégies.

Quand Retailleau passe derrière Darmanin, et qui dit les opérations Place Nette, c'est n'importe quoi. Il n’est pas en train de critiquer un ministre de gauche. Et puis Darmanin qui arrive et qui me dit à moi, droit dans les yeux dans son bureau place Beauvau, qu'il n'y a jamais eu de fermeté, de politique de fermeté au ministère de l'Intérieur. Après Sarkozy qui a chanté la même chanson, après Valls ? Le seul truc qu'il a gagné, c'est qu'il a gagné un nom. Est ce que la situation va mieux ?

Nous avions écrit une tribune avec France Urbaine à l'automne 2023 sur les questions du narcotrafic et la nécessité d'un plan de stratégie globale. Ça n'empêche pas de dire que les mesures qui ont été prises, là, pour faire un parquet spécial, pour faire isoler les plus grands patrons de deal, c’est positif. Why not ? Ça ne mange pas de pain. Dans le cadre actuel. Mais cette prohibition me semble être vouée à l'échec. On voit que même l'Allemagne a bougé, a légalisé le cannabis l’année dernière. Le Canada, un cinquième des États américains. Le Portugal avait choisi une stratégie qui était plutôt une politique de santé.

La France est avec la politique la plus répressive et en échec. Et les ministres de l'Intérieur essayent de faire diversion pour montrer que eux, vraiment, ils sont pour la tolérance zéro. Comme s'il y avait quelqu'un qui était pour un petit peu de tolérance et un petit peu de délinquance. C'est absurde.

Malheureusement, je trouve qu'à gauche, il y a toujours ce truc où on intègre les attaques des autres comme si c'était un problème, comme si on était pas sûrs qu'on avait un peu de conviction et qu'on avait pensé le truc. Comme s' ils avaient raison. Comme si on devait se justifier en défensive. Je trouve ça aberrant. Je ne vois pas où ça nous amène, en fait.

Pour nos habitants d'abord, puisque nous on est là pour des politiques publiques.

Faire des trucs qui servent à rien juste parce qu'on a envie de s’en sortir dans le débat public, je trouve ça problématique pour des responsables politiques qui sont là pour être au service des habitantes et habitants. Le but est de faire des choses qui ont vocation à fonctionner à marcher, donc c'est gênant de lâcher le fond. Peut-être c’est c’est le choix de certains, de se dire que pour conquérir l'électorat, il faut donner des signes dans le sens du vent, mais ça nous amène nulle part

.De même que je pense que le fait que Bayrou se saisisse de la submersion migratoire et de l'identité française en retournement complet de ce qu’il prônait auparavant en espérant draguer les électeurs du Rassemblement national, je pense que ça ne marche pas parce que ces politiques n'ont pas de résultats. Et donc une fois que vous mettez en place une politique répressive sans résultats, les adversaires vous disent “en fait, comme on est d'accord sur la façon de faire, si vous ne savez pas faire, c'est juste que vous n'êtes pas bon, barrez vous.” Et au final, c’est l’inverse du résultat espéré, ça fait monter l’extrême droite. Les gens préfèrent toujours l’original à la copie.

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