24 Apr
24Apr


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Article 1. - Le but de la société est le bonheur commun, Constitution de la première république française, 1793


Il y a 10 ans à peine, la victoire de la liste « Une Ville pour tous » à Grenoble faisait la Une des médias locaux mais également nationaux.

À 5 jours du vote, le dernier sondage nous donnait 10 points derrière la liste socialiste. J’avais déjà à l’époque une distance certaine avec les sondages, et c’est encore le cas ;)

Pour la première fois dans une ville majeure, les citoyens choisissaient un maire écologiste à la tête d’une équipe hybride d’écologistes, de citoyens engagés et de militants d’une gauche sincère dans sa volonté de transformer la société.

Grande joie et source d’espérance pour beaucoup dans la capitale des Alpes et ailleurs en France.

Au soir du premier tour, j’étais submergé par l’émotion. Cette vague de larmes prenait sa source dans le sentiment de pouvoir agir pour les enfants de Grenoble. Agir en les ayant à l’esprit, pour aujourd’hui et pour demain. Comme un pont avec mes premiers engagements d’éducation populaire, au lycée, en soutien scolaire chez des enfants de familles précaires. 10 ans après, des larmes remontent toujours immédiatement quand je me remémore ce moment et cette ambiance indescriptible.

Au soir du second tour, un autre sentiment m’habitait dans cette marée humaine devant le musée de Grenoble : nous ne nous appartenons plus, je suis et nous sommes au service de toutes les grenobloises et tous les grenoblois.

À l’occasion de cet anniversaire, mon idée n’est pas ici de faire un bilan.

Cet anniversaire n’est qu’une étape, les deux années qui viennent sont pleines de projets au service des grenoblois-es et la suite sera exaltante comme l’ont été ces 10 années.

Je partage d’ailleurs quelques vidéos de la campagne et de la victoire de 2014, ainsi que de la séquence « anniversaire » qui s’est terminée dimanche par l’émission politique de France 3.

Pas de bilan non, mais l’envie de partager simplement 4 clés qui m’ont guidé en amont de la victoire de 2014 depuis que j’avais répondu favorablement à l’invitation de l’engagement municipal.

« Nous travaillons pour aujourd’hui et pour les prochaines générations, pas pour les prochaines élections » disait un de nos adjoints


1) La politique est une invitation concrète, joyeuse, poétique et esthétique

2) Notre posture n’est pas celle de l’urgence, mais celle du désir de vivre

3) Nous voulons révéler et réveiller les aspirations réelles : le développement durable est le terrain de l’adversaire

4) Nous sommes l’ordre, ils sont le désordre.


1) Notre victoire est celle d’une invitation ambitieuse et d’un regard humaniste.


a) Nous avons voulu conserver le sens de l’intérêt général, l’expertise et la capacité de travail des mouvements écologistes. Mais nous avons travaillé collectivement et individuellement pendant de longs mois pour délaisser plusieurs postures peut-être utiles dans le passé des forces politiques rassemblées à Grenoble mais pas adaptées aux enjeux qui nous font face :

  • La posture de conseiller du prince : ne pas s’imaginer en première ligne, conduisant les affaires publiques, mais espérer influencer le sommet du pouvoir.
  •  La posture de contre-pouvoir interne d’un exécutif éloigné de nos fondamentaux.
  • La posture des techniciens efficaces dans un champ d’action restreint.

b) Nous avons voulu au contraire une démarche qui se projette dans l’exercice du pouvoir.
Cela se fait en ne regardant pas ce qui nous sépare les uns des autres au sein de l’arc humaniste, mais en mettant les collectifs et les organisations politiques au service d’un projet qui les dépasse. Cela se fait en pensant une esthétique joyeuse de campagne. Nous nous étions notamment inspiré du film NO sur le référendum de 1988 au Chili qui a renversé le dictateur Pinochet. Pour mémoire, les partisan.e.s du « non » à la question « souhaitez-vous le maintien de Pinochet au pouvoir pour les 8 années à venir » ont dû faire assaut de créativité, ne disposant que de 15 minutes d’antenne quotidiennes pendant les 27 jours de campagne qu’ils ont placés sous le signe de la joie. Le résultat final avait alors déjoué tous les pronostics le 5 octobre 1988.

C’est une véritable éthique de la responsabilité que d’avoir la discipline, la joie et l’enthousiasme de se convaincre intimement qu’on peut gagner et mettre en œuvre un projet construit collectivement, à la fois concret et fondé sur un cap radical.


2) Nous ne justifions pas notre projet par l'urgence.


Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas urgence à arrêter de détruire la biodiversité et le climat.
Mais notre projet se veut bon pour tout de suite et pour le long terme. Il est désirable. Nous laissons donc à d'autres (lanceurs d'alerte, activistes, scientifiques,...) le soin de rappeler que l'horloge tourne et avec elle les destructions de plus en plus irrémédiables des conditions de vie sur la Terre.

Ce n’est pas facile d’être discipliné sur cet état d’esprit, car on retrouve ce moteur de l’urgence chez beaucoup d'entre nous, et de façon légitime chez beaucoup de nos alliés.

a) L'urgence est connectée à la peur et au danger.

Or les 4 réactions face à un danger sont la fuite (je m'échappe de la zone de danger, ou je reste dans une ignorance), la soumission à la menace (le danger va m'épargner si je lui fais allégeance, que cela soit en reconnaissant sa puissance ou en maquillant que je ne le fais que par peur), la paralysie (si je fais comme si de rien, le danger va passer à côté et ne me verra pas, je serai épargné), le combat (dans deux cas de figures : le danger est à ma taille, je peux le vaincre; le danger est si grand qu'il ne sert à rien de s'en protéger, il ne me reste plus qu'à agir dignement, centré sur mes valeurs).

Autant dire que face à un danger qui semble démesuré par rapport à notre potentielle action individuelle, l'urgence ne représente une mise en mouvement d'un niveau efficace que pour un nombre très limité de personnes.

De plus, l'ignorance est encore grande. La prise de conscience a eu lieu certes, mais les enjeux d’un budget carbone, les échelles temporelles, géographiques, géopolitiques et sociales sont encore le fait de spécialistes aujourd’hui. Par ailleurs, ce savoir est battu en brèche par des groupes puissants ayant intérêt à continuer cette politique du « business as usual ». Le décalage entre l'urgence appelée et la perception du plus grand nombre est donc important, même si ce décalage se réduira au fil du temps et des désordres climatiques. Ce décalage est encore plus grand sur la question des atteintes à la biodiversité que sur la question du réchauffement climatique.

b) L'urgence vise l'élimination rapide du danger.

Or l'écart entre nos actions et leurs résultats sur le climat (cela serait moins le cas sur la biodiversité mais pour l'instant l'obscurantisme fait encore rage dans le domaine) se compte en décennies. Et il n'y a pas de corrélation entre nos actes à l'échelle locale ou régionale (au sens large) et le résultat à l'échelle locale ou régionale en ce qui concerne le dérèglement climatique.

Ce refus de l'urgence va de pair avec le refus d'un état d'urgence, fût-il climatique. Nous sommes pour un état de droit et la liberté ne peut être écartée du chemin que nous empruntons. Liberté ne veut pas dire permis de tout faire, notre liberté a pour frontière celle des autres, qu'ils soient contemporains, ou à naître, et qu'ils soient géographiquement proches ou lointains. Et c'est dans la façon dont notre puissance s'exerce près de ces frontières que se refonde une liberté nouvelle et humaniste.

Nous fondons notre action sur un avenir désirable et un chemin qui améliore nos vies dès maintenant, par des modes de vie plus en adéquation avec nos besoins et désir, et par l'espoir de lendemains de prospérité (sans croissance perpétuelle ni prédation).Cela se traduit par des changements concrets et adaptés à chaque territoire dans la façon de nous loger, de nous déplacer, de nous alimenter, de prendre soin de notre santé et de notre éducation.


3) Nous avons rompu avec le développement durable


Nous avons quitté l'approche par le développement durable et ses 4 piliers (social, économique, environnemental et de gouvernance), dont l'approche en silo repose sur le mantra d'une société organisée par et pour la croissance du PIB éternelle, et de ses corollaires productivistes qui résument le vivant à une ressource à exploiter, les humains à des outils de compétitivité, et la possibilité de conduire sa vie et d'accéder au bonheur à un préalable de compétitivité et un indicateur consumériste. Le développement durable comme cap leader/dominant du projet de société n'est pas compatible avec notre projet de société. Il peut tout au plus servir de sas, être la porte d’entrée vers des changements plus profonds en mettant certains acteurs publics, économiques ou citoyens en mouvement.

Pour reprendre Gorz : "Comment ne pas voir que le ressort principal de la croissance réside dans cette fuite en avant généralisée que stimule une inégalité délibérément entretenue : dans ce que Ivan Illich appelle "la modernisation de la pauvreté " ? Dès que la masse peut espérer accéder à ce qui était jusque-là un privilège de l’élite, ce privilège (le bac, la voiture, le téléviseur) est dévalorisé par là même, le seuil de la pauvreté est haussé d’un cran, de nouveaux privilèges sont créés dont la masse est exclue. Recréant sans cesse la rareté pour recréer l’inégalité et la hiérarchie, la société engendre plus de besoins insatisfaits qu’elle n’en comble, le taux de croissance de la frustration excède largement celui de la production " (lllich).[...]

Tant qu’on raisonnera dans les limites de cette civilisation inégalitaire, la croissance apparaîtra à la masse des gens comme la promesse - pourtant entièrement illusoire - qu’ils cesseront un jour d’être " sous-privilégiés", et la non-croissance comme leur condamnation à la médiocrité sans espoir. Aussi n’est ce pas tant à la croissance qu’il faut s’attaquer qu’à la mystification qu’elle entretient, à la dynamique des besoins croissants et toujours frustrés sur laquelle elle repose, à la compétition qu’elle organise en incitant les individus à vouloir, chacun, se hisser "au-dessus " des autres.La devise de cette société pourrait être : Ce qui est bon pour tous ne vaut rien. Tu ne seras respectable que si tu as " mieux " que les autres.

Or c’est l’inverse qu’il faut affirmer pour rompre avec l’idéologie de la croissance : Seul est digne de toi ce qui est bon pour tous. Seul mérite d’être produit ce qui ne privilégie ni n’abaisse personne. Nous pouvons être plus heureux avec moins d’opulence, car dans une société sans privilège, il n’y a pas de pauvres. »

C’est avec l’esprit des nouveaux droits affirmés par la Révolution Française que nous renouons également en réemboitant les activités humaines dans les limites de la planète.

En 2024, les Ecologistes ont voté la disparition du développement durable des valeurs affichées dans leurs statuts !


4) Nous sommes l'ordre, ils sont le désordre


Je ne l’exprimais pas comme cela à l’époque. Je soulignais le caractère absurde des politiques de compétitivité, d’attractivité et de croissance du prix à tout va qui étaient prônées par les politiques en place.

Nous sommes l'ordre, ils sont le désordre.

Chaque retard coûtera plus cher à financer demain, et réduira les bénéfices du résultat.

Chaque retard fragilisera notre capacité à faire cohésion.

Chaque retard sera une atteinte à nos valeurs autour des biens communs et du vivant, nous exposera à de nouvelles insécurités et menacera notre émancipation.

Chaque retard amputera la liste de nos projets concrets.

Nous sommes l'ordre. Ils sont le désordre.

Nous montrons un cap et le faisons en précurseurs, dans un mouvement exactement inverse de celui choisi par le gouvernement qui refuse la taxe des super profits et des patrimoines indécents, et qui assèche la capacité d'action de l'état en enchaînant les baisses d'impôts et en déconstruisant méthodiquement les amortisseurs sociaux : suppression de la taxe d'habitation (18b€), de la CVAE (8b€) pour les impôts locaux, mais aussi la suppression de la redevance audiovisuelle, de l'ISF, la mise en place de la flat tax pour les revenus financiers, la baisse des APL, la réforme de l'assurance chômage, la réforme des retraites, creusement du déficit au service des plus riches et utilisation de ce déficit pour mettre la pression sur les plus vulnérables.

Faire durer la cité en garantissant des sécurités aux citoyens, en chérissant les biens communs et le vivant, en nourrissant le désir de sens et en favorisant l'émancipation. Ce cadre, explicité ainsi ou plus souvent traduit sur des thématiques concrètes, nous guide depuis 2014 pour notre collectif.

Garantir des sécurités, cela veut dire que les politiques d'adaptation au changement climatique sont extrêmement importantes. Leurs champs communs avec les politiques d'atténuation du changement climatique sont heureusement très importants.

Cela veut dire également que des politiques sociales de réduction des inégalités sont indispensables, en plus de politiques environnementales et et avec de politiques social-environnementales qui sont heureusement celles les plus nombreuses et au plus grand effet de levier.

  • Garantir Chérir Nourrir, c'est regarder nos activités pour les sécurités individuelles et collectives qu'elles apportent, pour leur impact sur le vivant et ce qui est à préserver (eau, foncier, énergie, biodiversité, matières premières, en terme de prélèvement et de pollution), et pour tisser nos liens et libertés plutôt qu'accumuler les biens.
  • C'est très enrichissant : c'est définir ce qui est réellement important dans chacune de nos vies. Et faire ce travail de définition est le meilleur moyen de ne pas rester dans le terrain de jeu de la croissance infinie salvatrice.
  • C'est très pragmatique : on vit dans un monde dont on vit. Le détruire, c'est se tuer nous-mêmes.
  • Ces valeurs sont ordonnancées. Si on n'arrive pas à chérir les biens communs et le vivant, alors on arrivera de moins en moins à garantir des sécurités.
  • Nourrir le désir de sens se comprend dans les deux définitions de sens : ce qui est important pour nous, qui nous nourrit; et la direction commune, qui permet de nous regrouper sur un chemin commun dans nos diversités.


Une vision sans action est une illusion, mais l'action sans vision est une désillusion.


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